Après les pérégrinations du vélo en Turquie, rouler en Corée est un vrai confort. Les automobilistes sont calmes et respectueux. Les routes sont bonnes et les pistes cyclables… existent. On roule sur du billard comme dirait l’autre. Nous avons quitté Séoul, giga-mégalopole à l’étendue infinie, 6e plus grosse ville du monde, dixit Marius et Wikipedia, avec la soif de remonter sur nos bécanes et de partir à la rencontre de la campagne coréenne. Il existe depuis plusieurs années une piste cyclable qui relie Séoul (dans le nord) à Busan (dans le sud) en suivant deux grands fleuves, le Han (ou Hangang) et le Nakdong. 600 km gérés par l’agence gouvernementale K-water. C’est la 4 Rivers bike path (deux autres fleuves sont aussi concernés). Une aubaine qui a été déterminante dans notre choix du pays. Merci Céline et sa rencontre avec la Belge Manon Brulard, réalisatrice de « Women don’t cycle », qui nous l’avait recommandée.


La piste propose souvent trois bandes (dont une pour les piétons), des tunnels privés qui nous épargnent des cols, des arrêts fréquents avec toilettes et eau courante, des aires de camping, des musées aux thématiques diverses (musée du vélo, de la guerre de Corée, des fleuves…), des certification center où l’on peut cacheter son carnet pour le plus grand plaisir des enfants (une médaille est offerte à celui qui a parcouru les 4 Rivers au complet), des longs pontons de bois longeant les berges, des ponts privés… Bref une piste royale ! Son seul défaut étant évidemment de nous isoler de la vie des Coréens, des villages. Mais nous avons envie de rouler et ferons d’ailleurs notre record de 82 km en un jour. Et longer des fleuves entend que le chemin sera plus ou moins plat. A une grosse exception près, un col de 5 km, à mi-chemin, où Gaston est parti comme une flèche (bruxelloise).


La chaleur est étouffante, épaisse et collante. Il fait moite et lourd. Comme on dit chez nous, il fait douf. Entre 25° le matin et 38° parfois sous le soleil de midi. Nos gourdes se vident et se remplissent en continu. Les petits commerces des chaînes coréennes (emart24, GS25, Nice to CU) ou nippo-amérloques (7-Eleven) croisés sur notre chemin sont pris d’assaut car ils offrent de la clim’, des boissons fraîches, des tables et la possibilité de payer avec Mastercard et surtout de retirer de l’argent dans leur ATM machine. Car les cartes de débit Maestro ne fonctionnent pas ici (à l’exception de quelques rares banques dans la capitale). Seules les cartes de crédit fonctionnent et permettent de retirer du cash, et ce uniquement dans les ATM des boutiques précitées. Par petits paquets de 100.000 Wons en plus (= 75 €). Voilà donc une considération très terre à terre mais qui a fortement régit notre voyage en Corée.


La semaine de Wwoofing était un peu décevante concernant le travail à la ferme car à vrai dire il n’y avait pas grand-chose à faire… La ferme CB_108 (joli nom…), forte d’une cinquantaine de cochons, s’est récemment reconvertie en sanctuaire pour animaux de ferme. Restent 5 vaches, 1 taureau, 3 cochons, 3 chiens, 1 chèvre, 1 poney, des chats, des poules et des oies. Le travail tourne autour de leur nutrition, du nettoyage de leur enclos, du désherbage des autres parcelles et d’un peu de maraîchage. Le couple de propriétaires quadragénaires et leur enfant nous ont en revanche accueillis avec énormément d’enthousiasme et de générosité. Le seul fait que nous ayons 3 enfants à offrir à leur fils unique était suffisant pour eux. Du coup ce sont nos enfants qui nous ont offert le wwoofing. Après l’école du matin, viennent les joies de l’après-midi à grands cris de « kikiki » (cri de ralliement adopté unanimement par les enfants), de rires, de touche-touche-cache-cache, de crasses sucrées (offerte par la mère sans retenue aucune), de mimiques, de grimaces et de bribes d’anglais. De mon côté, j’ai commencé la face A d’Abbey Road à l’Ukulélé. Something in the way she moves


La cuisine coréenne est un délice absolu. Les gimbaps et autres plats à base de riz, viandes marinées, poissons, soupes, laitues croquantes ont ravi nos papilles gustatives tout au long du séjour. Attention toutefois de vérifier si les plats ne sont pas trop piquants. Quand un Coréen vous répond que non, cela brûle déjà un peu. Sinon, l’ail est omniprésent. Dracula n’a qu’à bien se tenir...


De retour sur la piste, nous replongeons dans la faune et la flore coréenne. Le long des berges, on a eu la chance d’observer de nombreux hérons, aigrettes, ou autres cormorans séchant au soleil, quelques grenouilles, serpents (brrr…), coucous (on les entend surtout) et même, chose plus rare, trois hydropotes (petit cerf des marais) ! Les rizières en terrasse baignant dans l’eau offrent un spectacle nouveau pour nos yeux d’occidentaux. Le système d’irrigation qui permet de réguler l’apport d’eau et notamment de remonter l’eau depuis un cours d’eau ou un canal est ingénieux. Ici un motoculteur en train de repiquer la rizière. Là des travailleurs ramassant des oignons par grands paquets. Partout des gousses d’ail séchant au soleil sur les barrières de sécurité des routes. Et puis ces pêchers dont chaque fruit a été soigneusement emballé pour le protéger des nuisibles. Le temps file. Nous roulons. Nous observons. Nous jouons (Rosalie est la championne des inventions de jeu à faire sur le vélo). Nous suons. Nous sommes un peu hors du temps. Et puis viennent la pluie et les moustiques qui nous ramènent à nos conditions de pauvres mortels. C’est la mousson. La saison des pluies. Quand ça tombe, ça peut tomber pendant des heures. Rien à voir avec la drache belge ou le déluge turque. Ici, quand il pleut, il pleut en continu. De quoi vous mouiller jusqu’à l’os. J’ai bien dû m’y faire, moi qui ne supporte pas la pluie à vélo. On apprend à laisser pisser quoi... Accepter le fait d’être trempé, voilà tout. Plier les tentes détrempées sous la pluie et les moustiques. Un grand bonheur. Zénitude. Bouddha. Tralala itou.


Quoiqu’il arrive, les Coréens sont habillés. De la tête au pieds. Sous le cagnard, sous la la pluie ou dans les rivières. On ne voit que leurs mains, quand elles ne sont pas dans des mitaines pour les cyclistes, et leurs pieds, quand ils vont nager. De nombreux cyclistes ont même des foulards qui couvrent tout leur visage. On croirait parfois croiser Spiderman ou Batman à bicyclette. Que craignent-ils ? Le soleil, les moustiques ? Ce doit être une coutume. Moi qui n’ait qu’un short délavé pour seul habit, je me sentais parfois un peu nu, mais bien. Comme un Manu tout nu quoi...


Le périple Coréen aura passé presque trop vite. Comme partout, notre petite tribu aura suscité la curiosité, les échanges, les sourires, les sympathies et les pouces en l’air. On regrette un peu le manque de tourisme « culturel ». Un temple bouddhiste, des palais royaux, une nuit près d’un temple confucéen, une approche très lacunaire de la question Nord-Sud (un petit musée sur la guerre de Corée ; un article de Bruno Drweski qui nous rappelle que rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Si une dictature de fer règne là-haut, les mésactions du sud ne furent pas tristes non plus… Les intérêts des puissances mondiales sont une fois de plus cachées là derrière). Mais les nombreuses nuits en tente nous rappellent combien il est bon de dormir à même le sol. Près de la terre nourricière. Sentir le vent frais (enfin !) de la nuit vous caresser la joue. Méditer un peu. Chercher le juste milieu. Celui que Bouddha tenta en vain de nous montrer. « Partout, de nos jours, l’esprit humain commence ridiculement à perdre de vue que la véritable garantie de l’individu consiste, non dans son effort personnel isolé, mais dans la solidarité » (Dostoïevski, Les frères Karamazov). Et réentendre le coucou qui semble nous narguer en laissant volontairement son œuf dans le nid d’un autre. Coucou, coucou ! Le petit matin sous tente est certainement l’une des plus belles expériences auditives à vivre. Des milliers de chants d’oiseaux se mêlent au bruissements des arbres. C’est le chant du monde. Depuis la nuit des temps et pour l’éternité. Même si rien n’est éternel… C’est pourquoi il faut croquer le présent à pleines dents.


Bon appétit.


Matthieu