Il est déjà tard, nous débarquons ce 30 juin sous une chaleur étouffante à Fukuoka, ville portuaire, notre entrée au Japon. Sur la route vers notre chambre compacte, nous nous acquittons de nos obligations de base : forfait de datas pour un mois, adaptateurs, premiers sushis, tout se profile parfaitement. Notre itinéraire est pratiquement bouclé, d’îles en îles vers Osaka et son Studio Universel pour terminer par Kyoto et Tokyo. Nous nous sentons rodés après 5 mois de voyage, nous avons bravé la pluie coréenne, les camions turcs, la promiscuité dans des mini-studios, les nuits de camping improvisées, ... Rien ne nous arrêterait ! C’est pourtant la douche froide (ou plutôt chaude). Les pluies torrentielles continues nous forcent à bousculer notre programme. Tout est trempé, impossible de planter la tente sous cette pluie intense et incessante et, qui plus est, les nuits en dur en dehors des villes sont hors prix. Fini Kyushu et sa belle traversée. Nous rebroussons chemin non sans s’être bien équipés : claquettes en plastique pour tout le monde, deuxième couche de sacs plastiques dans les fontes, parapluies en plastique, nous bravons la mousson jusqu’à la ville la plus proche où nous attend un « hôtel économique », plus que le bienvenu. Même la piste cyclable est inondée, les panneaux dérivent gentiment sous un fleuve hors de son lit.


Le Tsuyu, cette saison des pluies, ne se résume pas toujours à deux heures de pluie intense et puis c’est reparti. Non il peut pleuvoir des litres et des litres sans interruption. On nous l’avait dit, on ne se l’imaginait pas tant. Le 15 juillet par contre elle s’arrête. Nous décidons de prendre de l’avance et d’arriver en train à Hiroshima. Un cyclo-touriste nous avait prévenus que prendre le train au Japon avec un vélo n’était pas si simple. Matthieu se procure les sacs obligatoires assez facilement, rien de bien compliqué donc a priori. Sauf qu’on ne peut pas monter sur le quai avec les vélos, on ne peut pas non plus traverser le portique de l’entrée de la gare avec nos vélos. On doit donc tout démonter en dehors de la gare et porter nos 16 fontes et 5 vélos d’un bout à l’autre, d’un étage à l’autre et le long du quai pour être en face du bon wagon. Ça ne paraît pas si terrible mais autant se déplacer sur un vélo monté et chargé est un plaisir, autant porter et déplacer des vélos démontés et leur chargement demande un effort considérable. On a prévu le temps nécessaire, tout va quand même assez bien. Nos vélos sont finalement bien posés le long de la barrière de sécurité, au bon niveau, au bon quai, mais … de l’autre côté de la ligne jaune, ce n’est donc pas bon. On doit tout déplacer d’un mètre, de l’autre côté de la fameuse ligne jaune tracée sur le sol. Mais plus aucun appui pour nos vélos, qui prennent de fait beaucoup plus de place et gênent encore plus le passage, soit. Même topo lors de la correspondance, petit plaisir en bonus, on nous refuse l’ascenseur de service, un beau et grand ascenseur juste devant nous qui nous permettrait d’éviter 200 mètres jusqu’au petit ascenseur sur-bondé par les voyageurs. Soit, les règles sont les règles. Arrivés à Hiroshima, nous descendons tout selon nos premiers enseignements et sommes prêts à remonter mais non, même délire, nous ne pouvons remonter nos vélos qu’après avoir tout transporté 50 mètres plus loin, dans le même hall, avec le même trafic de voyageurs mais… de l’autre côté de la ligne… Soit, nous obtempérons après un « get out » froid et sec, persuadés que la prochaine fois sera un sans faute. L’Histoire nous prouvera le contraire.


Hiroshima nous bouleverse. Little Boy précédant Fat Man, l’indécence et le mépris ultime de l’autre. Le silence puis les questions, le dialogue. Mais quels mots pour expliquer aux enfants pourquoi et comment l’homme peut commettre de telles atrocités, de quelle folie l’homme est capable. Nous perdons tous les 5 une part d’insouciance et de légèreté, chacun à son degré bien entendu.


Nous reprenons la route et entrons tout doucement dans le Japon dont nous avions rêvé. Paysages verts et montagneux, villages aux maisons traditionnelles en bois, entre-coupés de rizières, de cimetières aux pierres tombales étroites et longues se dressant à la verticale. Je ne me lasse pas non plus des toits et leurs enchevêtrements de tuiles argentées et décorées. Il règne une délicatesse et un sens de l’esthétique peu égalé ailleurs. Nous sommes envoûtés par une piste cyclable de 80 km, d’îles en îles, de ponts suspendus en pont suspendus. La pluie est de retour mais elle donne une ambiance qui me plaît, qui me touche, nuages et brumes rendent le paysage d’autant plus profond. Elle orientera à nouveau notre itinéraire et nous devrons longer plutôt la côte nord, plus urbanisée. Nous traverserons villes et villages moins courus, planterons la tente ci et là, serons accueillis par un warmshower (que Gaston renommera warmdryer), testerons les futons sur tatamis des hôtels ultra-économiques. Nous nous régalerons à chaque repas. Nous sommes unanimes, la cuisine japonaise est la meilleure au monde. Saine, fraîche et aux parfums si subtils. Chaque repas est un festin. Marius m’a d’ailleurs expliqué presque sérieusement qu’il n’avait plus le temps d’écrire sur le blog tellement manger l’occupe :)


L’eau nous accompagne tout au long du pays. La pluie évidemment mais aussi l’océan, les nuits au bord de la mer de Seto ou du lac Biwa, les sento et onsen, ces bains publics et sources d’eau chaude où hommes et femmes se lavent et se baignent séparément, nudité oblige. Et lorsqu’il ne pleut pas, les 45 degrés et l’humidité absolue nous liquéfient littéralement. Nous retrouvons le plaisir des Seven Eleven, Lawson et autres dépanneurs climatisés dans lesquels nous nous ruons pour nous rafraîchir et profier de l’air co. J’entends les cris de ralliement dès qu’il y en a un en vue, que nous prenons d’assaut ! A présent à Tokyo, nous ne les regardons même plus…


Nous arrivons ensuite à Osaka, les enfants sont enchantés par son Universal Studio, nous aussi. Le parc d’attraction au Japon présente ses petites particularités également, tant les adultes que les enfants sont déguisés à l’effigie d’une des attractions, coiffés de serres-têtes en peluche. La veille nous croisions une épicière qui nous préparait l’addition au boulier compteur et aujourd’hui ce sont des centaines d’adultes complètement exaltés dans un monde de décors hollywoodiens. Résolument terre de contraste.


Cap vers Kyoto, ville impériale. Palais, temples et sanctuaires en série, ici aux mille portes Tori, ici doré, là au bouddha géant... L’impression d’un peu abuser mais les enfants ne se lassent pas. Nous logeons dans un très beau ryokan, ancienne maison de bois aux vitres de papier, naturellement ombragée et ventilée, pièces sobres murées de placards et portes coulissantes. Les propriétaires nous prennent d’amitié et sont tellement gentils avec nous. Le ryokan ne répond pas aux standing actuels en matière d’équipement mais nous y sommes bien, nous prolongeons un peu.


Tokyo approche, la fin aussi. Encore une nuit en tente svp, la tête dans les étoiles, nous fonçons vers une aire de camping naturelle le long d’un lac, 40 km au nord de Kyoto et profitons d’une dernière baignade et d’un dernier coucher de soleil sur fond montagneux. Debout 6 heures, 40 bornes pour arriver à la gare, train puis la traversée de Tokyo nous attendent. Parfois le sentiment de leur en demander beaucoup, désolée les gars… c’est bientôt fini.


Et nous y voici donc à Tokyo, la plus grande ville du monde qui fascine Marius depuis le début du voyage. Non pas sans un ultime délire ferroviaire où il nous fut interdit de franchir le portique si nous n’étions pas capable de porter chacun à la main nos propres bagages, même les volumineux, histoire de ne pas gêner les autres passagers. Et donc il est demandé à la petite Rosalie de porter en une fois son vélo démonté et son quota de fontes. J’ai sorti un semblant de larmiches quand on a vu que l’heure approchait et que nos interlocuteurs durcissaient de nouveau assez sévèrement le ton. Ils ont cependant compris que leur règle ne pouvait pas s’appliquer dans notre cas. Mais la dérogation n’est pas aisée au Japon. Matthieu est finalement autorisé à faire 5 trajets pour les vélos si et seulement si les enfants et moi-même pouvons porter tous les autres bagages en un trajet. On attache les fontes les unes aux autres, bourrons les sacs à vélo avec les plus petites sacoches. Nos dos sont brisés mais nous sommes sur le quai… Cherchez la logique.


Tokyo, dernière étape. Je ne sais plus où donner la tête, chaque seconde compte, tant pour la ville et ses fascinations que l’envie de profiter encore et encore de notre belle aventure nomade. Musées, session de gongs et rituel du feu dans un temple bouddhique, le panorama de la Skytree, le shopping, les lumières urbaines remplissent nos dernières journées. Ascension du Mont Fuji pour Matthieu et Gaston, Rosalie étant fiévreuse et Marius et moi trop enrhumés. Tout cela est passé tellement vite.

Demain l’avion pour Paris, quelques jours après, le plaisir des retrouvailles, puis le retour au quotidien. Quel parfum aura-t-il ? Qu’emporterons-nous de ce « grand voyage » ?


Merci à mes si chers compagnons de voyage pour ces quelques mois enchanteurs. Merci Matthieu d’avoir osé allumer l’étincelle.


Céline