Il est 4 h du mat’, j’suis dans mon lit stambouliote et n’arrive plus à dormir. Idem Céline. Dans 4 heures le taxi vient nous prendre pour l’aéroport, direction Corée du Sud. Nos bagages sont faits, nos vélos sont démontés et emballés dans du papier bulle recouvert de tape. Cela m’aura pris toute la journée d’hier. 8 rouleaux de tape et 63 m de papier bulle, pour le plus grand plaisir du petit quincaillier mais pas de planète. Bigre ! Peut-être qu’en cherchant davantage j’aurais pu trouver des cartons chez un revendeur de vélos ? Mais là non. On fait avec les moyens du bord. Et voilà donc une grande étape de notre voyage qui se termine.


La semaine de vélo dans les steppes d’Anatolie centrale fut tout simplement éblouissante. Avec le littoral grec d’Igounemitsa à Patras, cela reste pour moi les plus beaux moments cyclistes du voyage. Nous avons quitté Göreme et ses cheminées de fées touristiques le 19 mai, lendemain d’une date ô combien fatidique !, malgré la fièvre de notre pauvre Gaston. Nous n’irons pas bien loin, angine oblige. Mais il fallait que nous bougions. Le temps de remettre Gaston d’aplomb, dans un bien triste hôtel de Nevsehir, que nous voilà repartis sur nos fiers destriers à travers le pays, plongeant dans des paysages à couper le souffle. Pendant 7 jours nous arpentons des routes infinies disparaissant à l’horizon, bercées par la danse du vent dans les hautes herbes, le vol des cigognes, le chant des alouettes et celui des muezzins lointains. Des routes qui semblent n’être fréquentées que par nous et les troupeaux de moutons que mène quelque berger hagard sur son âne : « Merhaba ! » crie-t-il, suivi de grands gestes, quand ce n’est pas pour tâter les bijoux de famille de Gaston pour s’assurer qu’il s’agit bien d’un garçon vu qu’il a les cheveux longs… Hum, étonnante coutume :-)


Les dénivelés sont parfaits, ni trop durs, ni trop plats. Faut dire que nous avions bien regardé cela en amont. Bien sûr il y a de belles montées, mais les récompenses sont toujours au rendez-vous. Laisser filer les vélos dans les longues descentes d’Anatolie est un cadeau des dieux. « Youpiedoudaaaa ! » crie Rosalie, cheveux aux vent. Les Turcs nous dévisagent toujours curieusement avant de nous offrir de larges sourires. Pour les automobilistes, le klaxon est de mise. C’est un signe de sympathie, même si cela peut être vécu un peu agressivement depuis le vélo…


Le temps est hésitant tout au long de la semaine. Souvent dégagé le matin, avec un soleil qui fait grimper les températures rapidement au-delà des 25 °C, l’après-midi se couvre de gros nuages qui déversent parfois de fortes pluies soudaines. Voire de la grêle. Dans ces cas, nos regards se portent au loin à la recherche d’un abri de fortune. On connaît la pluie turque, elle peut vous tomber dessus même quand il n’y paraît pas ! Ça ne dure jamais longtemps mais mieux vaut être préparé. Un jour, peu avant Şereflikoçhisar et son incroyable lac de sel, le Tuz Gölü, au beau milieu de nulle part, ça a craqué sec. Vite un toit ! Aie aie aie ça va mouiller... Heureusement un fermier surgissant avec son vieux camion nous invite à nous réfugier dans la cabine avec lui. On est y un peu serré mais il fait bien sec. Moi j’ai pu trouvé refuge sous un mini toit devant un abreuvoir. A l’heure de quitter notre généreux hôte, nous découvrons son pistolet à la ceinture. Gloups…


Nous avons fait de nombreuses belles rencontres durant cette semaine. C’est curieux, plus les gens semblent démunis, plus ils semblent hospitaliers et généreux. C’est là une bien triste constatation de l’individualisme dans lequel a plongé nos démocraties modernes occidentales. Les Turcs des steppes centrales n’hésitent jamais à nous inviter chez eux, nous offrir à manger et même nous loger. Nous avons ainsi été accueillis pour un pique-nique chez Mehmet (nous n’avions plus de pain et il n’y avait aucun mini market à l’horizon), nourris et logés chez Ali, chez Ürüyen & Zübeyde Yildirin. L’anglais est hélas rarement de bon recours. Restent les gestes ou le traducteur en ligne. Aussi l’allemand et le néerlandais (et même le français) à notre grand étonnement, car des nombreux Turcs sont partis travailler en Europe et revenus vivre leur retraite au pays.


Après 7 jours de coups de pédales, de plantage de tente (notamment dans une plaine de jeux et, chose plus rare, dans une salle de fête), de dodos chez l’habitant, de l’un ou l’autre hôtel (même avec hammam à Haymana), de paysages grandioses, de rencontres chaleureuses, nous mettons nos vélos dans le bus, direction Istanbul. Un petit goût de « trop peu », mais les montagnes ne sont plus très loin et puis l’arrivée dans la capitale ottomane à deux roues est à proscrire. Nous y avons goûté un peu, de l’arrêt de bus au gîte de Taksim, et je peux le confirmer !


La ville aux mille et une merveilles nous a révélé quelques-uns de ses secrets (on s’est même payé une soirée en amoureux abandonnant les enfants seuls au gîte), entre école le matin et visite l’après-midi. Quelques souvenirs en réminiscence de ma première visite du haut de mes quinze ans avec Antoine, maman et Vincent. Que le temps file… Que la vie est fascinante. Ma quel grand bazar que tout cela !


Matthieu