Nous voici déjà presque au terme de notre périple grec. La route du nord du Péloponnèse, de Patras à Corinthe, était vraiment moins belle et sauvage que celle de la partie continentale. Une grosse autoroute est venue la balafrer tout du long. On l’entend souvent qui gronde. Brrr... L’approche de la capitale et de ses faubourgs se fait sentir. Le paysage s’urbanise et les routes se remplissent. Et pour couronner le tout, le soleil fait son timide. Nous projetons de continuer cette partie en train mais c’est la grève. Le 28 février dernier, un grave accident ferroviaire a fait 57 victimes. La faute est rejetée sur quelques cheminots-aiguilleurs qui auraient manqué de vigilance. Mais qu’en est-il de la politique de libéralisation européenne qui a réduit le service public ferroviaire grec (et les autres…) à peau de chagrin en quelques années seulement ? Les Hellenic Railways comptent désormais quelques centaines de travailleurs contre 6000 en 2008. Et on s’étonne ? Inutile de dire que nous partageons entièrement les raisons de la grève. Nous devons donc réadapter nos plans. Pas grave, nous irons à vélo comme prévu. En compensation, un petit train à crémaillère nous fait découvrir les splendeurs des hauteurs de Kalavryta, avec l’étonnant monastère Méga Spilaion niché dans la falaise (merci Nanon), et un gîte douillet en duplex nous offre un havre de paix sans pareil sur le littoral de Vallimitika.


Arrivés à Corinthe, nous logeons dans le camping de l’Ancient Korinthos, sympa pour l’accueil mais sans gazon et toujours avec l’autoroute comme toile de fond (sonore). Plutôt que de poursuivre tout droit vers Athènes, nous décidons de pédaler vers le sud du Péloponnèse, plus calme mais plus montagneux. Nous prendrons le bateau à Poros pour la capitale. Avant cela, nous louons une voiture chez Lieve, une Ostendaise installée ici depuis 40 ans (le monde est petit, ja zeker!), pour aller visiter le canal de Corinthe, les ruines magistrales de Mycènes, le port de Nauplie et le théâtre d’Epidaure (où la pièce de monnaie de Gaston tombée en plein centre s’entend tout en haut !). Chut ! Sophocle répète.


Retour au camping de Corinthe, aux vélos et... gare aux mollets ! Un col de 11 km nous attend, nous et nos vélos chargés comme des mules. Nous arrivons en sueur au village de Sofiko (508 m d’altitude), mais fiers et heureux de l’effort accompli. Je suis impressionné par la force et le courage des enfants face à de telles épreuves. Gaston affronte les côtes avec force et témérité. Rosalie apprend à pédaler sans à-coups dans mon rythme et à plonger dans ses rêveries peuplées de princesses, de fleurs et de chansons. Marius arrive toujours au sommet mais réserve à sa mère de fameuses scènes épiques de « pétage de câbles ». Il est vrai qu’étant le plus souvent devant dans les côtes avec Gaston et Rosalie, je n’assiste pas à ces chevauchées fantastiques… Heureusement, les descentes qui suivent sont toujours de belles récompenses ! Ce soir-là nous dormons derrière les murs du monastère orthodoxe d’Agnountos, avec l'accord des petites nonnes qui le tiennent. Il est tout simplement magnifique. D’une beauté pure, simple et harmonieuse avec la nature qui l’entoure. Sa cour intérieure avec ses couloirs couverts à l’étage rappellent à Gaston les haciendas de Zorro. Le monastère n'est plus occupé depuis quelques années mais peut se visiter en journée. Nous serons donc les seuls « habitants » de la nuit, parmi les chats (pour le grand plaisir de Marius et Rosalie), les chouettes et les loups-garous (oui, c’est pleine lune !).


Le lendemain est un grand jour ! Celui des premières retrouvailles familiales avec Nannie, Laurence, Ernest et Alix. Ô joie des visages familiers retrouvés après deux mois d’éloignement ! Rien de tel pour fêter cela qu’un bon petit resto grec dans le port d’Epidaure arrosé dignement (au propre comme au figuré si l’on considère la « drache » qui nous est tombé dessus ensuite). Chacun repart le lendemain de son côté car les véritables retrouvailles auront lieu dans trois jours à Athènes, avec Antoine. C’était juste un apéro. Un petit tzatziki. Un zeste de kumquat…


Pour quitter la petite cité portuaire d’Epidaure, une redoutable côte nous défie. Le choix de la route à prendre divise les cyclistes. Céline penche pour la petite route qui monte raide mais sans voiture aucune, recommandée par l’application Komoot. Matthieu pour la route à inclinaison plus progressive mais avec plus de passage, visible sur sa carte. Le ton monte. La foudre (de Zeus) éclate. Finalement chacun part rageur du côté opposé de son choix sous des « ok on va prendre TON chemin ». C’est le monde à l’envers. Et tout cela sous le regard hagard des garçons restés sur place. Mais la zizanie ne dure que le temps d’un calamar frit et la troupe arrive réconciliée au sommet, par le chemin de Céline, la mère veilleuse. Pour le coup, Marius arrive le premier et n’aura pas posé pied au sol. Pour ma part, j’ai tout fait à pied. Mauvais joueur ? :-)


La ville de Poros est un petit bijou de port insulaire. Il faut prendre un bateau pour traverser les quelques brasses qui la sépare du Péloponnèse, lui-même île depuis que l’homme a creusé le canal de Corinthe, demandez à Marius. Une île d’île en somme, un joli méli-mélo d’îlots.


La semaine qui s’ensuit est consacrée à la capitale Athènes, son Parthénon, son mont Lycabette, ses musées, gardes présidentiels evzones aux pompons redoutables, plaines de jeux, restaurants, alentours (nous avons poussé jusqu’au cap Sounion et son majestueux temple de Poséidon). Tout cela en famille avec les cousins et Nannie. Merci Maman ! Et puis aussi Vincent qui nous manque tous les jours et qui subsiste toujours bien vivant dans nos pensées et nos cœurs. Je pense à lui souvent. Plus que je ne l’aurais supposé... Santé Vincent ! Ygeía !


Mais la santé justement me fait défaut et un rhume me submerge pour les deux derniers jours en famille. La semaine athénienne passe à une vitesse marathonienne que nous voilà déjà embarqués pour l’île de Kos, à 4 km des côtes turques, où nous allons vivre notre deuxième expérience de wwoofing. Plongé dans mes pensées enrhumées, je me laisse bercer par le roulis du ferry qui nous emporte dans la nuit à travers la mer Égée. L’assourdissant ronronnement du moteur nous assomme dans cette immense boite métallique qui pue le mazout. Que n’aurais-je donné pour mettre nos vélos sur un trois-mats de bois bâti, mû par la seule force des vents et sentir la houle craquer les planchers ! Et ce n’est pas Gaston qui me contredira. Je me dis que ce monde est fou. Que nous courons tous comme des poules décapitées. A perdre haleine. A perdre nos vies à tenter de les gagner. Tout va trop vite. Les bateaux, les avions, les coups de fils, les mails. Et je me rappelle que c’est aussi pour ça qu’on fait ce voyage. Pour prendre le temps. Pour eux. Ces trois petits êtres adorés qui dorment profondément sur les flots de la mer Égée. Puisse cette odyssée leur offrir ce qu’il y a de plus beau dans ce bas monde. L’amour.


Matthieu